Fini le cash
Il y a dix ans, les Français ne se voyaient pas payer sans espèces. Aujourd’hui, le cash vient d’être détrôné par la carte bleue, désormais premier moyen de paiement dans le pays. Le liquide cède du terrain face au mobile et au sans contact et leurs limites : traçabilité, cybersécurité, exclusion sociale…

Les billets vont-ils bientôt disparaître ? Pour Jeanne, 21 ans, c’est le futur qui se profile : « Je n’ai jamais de monnaie sur moi puisque je ne paie jamais en cash. De toute façon, l’avenir c’est le paiement par téléphone. » En 2024, pour la première fois en France, la carte bleue a dépassé les espèces comme premier moyen de paiement, selon une étude de la Banque de France. Les paiements mobiles ont doublé en deux ans, et un quart des paiements se font en ligne. Le liquide recule donc dans les achats quotidiens.

« Même à la boulangerie, je n’utilise plus de pièces »
Un des accélérateurs : le Covid avec le développement du paiement sans contact. Depuis la crise sanitaire, Véronique, 43 ans, a vu ses habitudes changer : « Avec le Covid, j’ai vraiment été incitée à utiliser le sans-contact. Maintenant, je n’utilise plus de pièces, même à la boulangerie ! » La Banque de France a aussi analysé la répartition de la monnaie en circulation. Dans l’Hexagone, si la monnaie en circulation est en augmentation régulière depuis 20 ans, près de la moitié des espèces détenues se situe en dehors de la zone euro.

Cette évolution dans les modes de paiement a amené des économistes et des hommes politiques à remettre en question la pertinence actuelle de la monnaie cash. La réflexion est déjà en place au niveau européen. En avril 2025, devant la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, l’eurodéputé Piero Cipollone, membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE) a défendu le projet d’un euro numérique qui « offrirait […] une solution de paiement numérique simple et sûre, gratuite pour les utilisations de base […] assurant la protection de leur vie privée ».
« Je paie tout avec Apple Pay »
À l’origine, la monnaie a été créée pour sa praticité, surtout les billets. Mais aujourd’hui, cette logique est dépassée. Le paiement dématérialisé est devenu bien plus rapide et pratique, rendant l’usage du cash moins nécessaire. La majorité des jeunes adultes ne s’encombre plus de porte-monnaie : « Quand je sors, je prends juste mes clés et mon téléphone, raconte Paul, un étudiant de 23 ans. Même plus besoin de carte bleue, je paie tout avec Apple Pay. »

Alors comment imaginer la suppression totale de la monnaie ? Pierre Jaillet, économiste et ancien Directeur général Économie & affaires internationales de la Banque de France, précise que « la disparition de la monnaie fiduciaire ne se fera pas du jour au lendemain, on ne peut pas l’attendre avant 15 ou 20 ans ». Ce n’est pas non plus une décision qui revient au gouvernement français : « Elle sera prise au niveau du conseil des gouverneurs de la BCE et pas par les banques centrales nationales seules. »
Le risque majeur derrière la suppression du cash concerne la sécurité informatique. L’Union européenne renforce régulièrement la protection autour des paiements en ligne, comme avec la Directive sur les Services de Paiement 3 (DSP3) en 2023, qui améliore l’authentification et les contrôles des prestataires. Avec la disparition des espèces, « c’est l’essor du risque de cyberattaque, qui augmente d’année en année, et qui risque d’exploser », avertit Pierre Jaillet.
« Une autre réflexion doit aussi se poser : l’encadrement des crypto-monnaies, qui seront les substituts aux espèces, ajoute l’économiste. Il faudra envisager des réglementations supplémentaires pour les réguler et les sécuriser. »
Cette économie du futur va changer durablement les habitudes des consommateurs, notamment dans la façon de gérer les dépenses quotidiennes. Si pour certains Français, il est plus simple de maîtriser son budget grâce aux applications bancaires. « Je fais mes comptes sur mon téléphone, comme ça je vois tous les virements et les achats que j’ai faits, décrit Valérie, mère au foyer. Mais forcément tout ce que j’ai payé en espèces n’apparaît pas et ça ne m’aide pas pour mon budget. » Pour d’autres, c’est la trop grande praticité du paiement par mobile ou en sans contact qui inquiète : « Le mouvement est trop facile, hop, je pose mon téléphone et c’est payé. Il n’y a qu’à voir mon compte en banque, ça part très vite », plaisante Jeanne.
« J’aime pas trop l’idée qu’on m’espionne à travers mes paiements »
Mais la réticence des Français, encore attachés au liquide, provient surtout de la traçabilité des échanges. « J’aime pas trop l’idée qu’on m’espionne à travers mes paiements et on ne sait pas trop qui aura accès à toutes ces informations », explique Olivier, un commercial de 47 ans. En effet, tout paiement effectué électroniquement –par carte bleue, par mobile ou par virement électronique– est traçable. Motif, destinataire et bénéficiaire sont renseignés.
« Comment feront les personnes sans-abris si on supprime la monnaie ? On ne pourra plus leur donner d’argent à l’avenir ? », s’interroge Olivier. Même si 90 % de la population française possède une carte bleue en 2024, une frange de la population est encore exclue du système bancaire. « En supprimant les espèces, on exclut une grande partie de la population des systèmes de paiements : les personnes âgées, ceux qui n’utilisent pas internet mais aussi les personnes non bancarisés, sans carte bleue, comme une grande partie des personnes sans domicile fixe », signale Pierre Jaillet. Le passage à une économie sans espèces doit donc s’accompagner de mesures politiques, comme des aides financières, pour assurer un accès égal à tous.
Marie Fischmeister