Sans foie ni l’oie

Et si la viande de demain n’impliquait plus d’abattre des animaux ? Entre végétal et culture cellulaire, je me suis demandé ce que contiendrait mon sac de courses en 2065.

 Dans plusieurs décennies, notre alimentation pourrait être composée de viande végétale, cellulaire, de mycoprotéines ou de protéines microbiennes. Image générée par ChatGPT.

Ce n’est pas une révolution. C’est un glissement. Silencieux, progressif. Dans les supermarchés, la place du végétal ne surprend plus personne. Ce n’est plus un rayon « niche » entre les produits sans gluten et les boissons au soja. C’est une vraie catégorie, structurée, marketée, normalisée. Je n’ai pas besoin que l’on m’explique pendant des heures pourquoi ce changement a opéré. Je le sais, comme tout le monde : la production de viande animale est énergivore et émettrice de gaz à effet de serre. Bref, elle pèse lourd dans l’équation climatique. Pourtant, en remplissant mon sac cabas, je continue à en acheter – du poulet surtout – une fois par semaine. Jusqu’à ce jour-là, où, en passant devant le rayon végétal, je me suis demandé à quoi ressembleraient mes courses en 2065. Pas dans 200 ans. Juste dans 40. Le temps d’une génération. 

Le rayon végétal, je passe quotidiennement devant. Il est là, visible de tous, fourni. Aujourd’hui, j’ai décidé d’arrêter de l’ignorer. Galettes de lentilles, boulettes de pois chiches, hachés végétaux sous vide. Rien de révolutionnaire. Rien de nouveau. Mais au moins, en 2025, ces produits ne s’excusent plus d’exister.

Le végé insiste, la viande résiste

Ce bouleversement, Emmanuel Brehier, ingénieur agroalimentaire et cofondateur de l’entreprise française Hari&co, spécialisée dans les alternatives végétales, l’a vécu de l’intérieur. « Il y a dix ans, c’était un marché de niche. Il y avait très peu de concurrence et le steak de soja était le principal produit végétal », relate-t-il.

Mais aujourd’hui, si l’alimentation végétale séduit de plus en plus de consommateurs et était en hausse de 15  % sur le marché de la grande distribution l’année passée d’après Emmanuel Brehier, elle ne convainc pas pour autant l’ensemble de la population. En 2023, la consommation totale de viande par habitant en France a diminué de 1,7 % par rapport à 2022. Une baisse insignifiante, largement compensée par la progression des viandes blanches, et notamment du poulet, dont la consommation a grimpé de 3,7 % en un an, atteignant 23,3 kilos équivalent carcasse par habitant.

Alors, j’ai voulu explorer l’autre grande promesse du futur : la viande cultivée, dite cellulaire. Pas une imitation ou un tofu déguisé, de la viande d’origine animale mais sans nécessité d’abattage. Pour comprendre jusqu’où la science pourrait influencer le contenu de notre assiette de 2065, j’ai appelé Tom Bry-Chevalier, doctorant en économie de l’environnement à l’Université de Lorraine et auteur d’une thèse sur la viande cultivée et les protéines alternatives. « La viande cultivée est produite par culture cellulaire, c’est-à-dire que l’on prélève des cellules sur un animal vivant ou mort, ou sur un œuf. Ensuite, on les place dans une grande cuve appelée bioréacteur pour qu’elles se multiplient. À la fin, on obtient une pâte de cellules qui sert à produire des aliments déstructurés comme des nuggets ou des steaks hachés », commence-t-il par m’expliquer. 

Fausse viande, vrai débat

Sauf que pour le moment, cela ne reste qu’une promesse. Trop cher. Trop lent. Trop complexe à produire en masse. Entre la théorie et le steak dans l’assiette, l’écart est encore grand. Aujourd’hui, produire 1 kg de viande cultivée coûte encore plusieurs dizaines d’euros et les portions prennent entre trois semaines et un mois, pour certains laboratoires, à être fabriquées. Et même si cela devenait accessible, cette question demeure : séduira-t-elle vraiment ? Pour le doctorant, sur l’acceptabilité, tout reste à faire. « Les premiers produits à base de viande cultivée sur le marché seront certainement hybrides, puisque cela est trop coûteux de créer un produit qui serait 100 % cellulaire, explique-t-il. Nous avons très peu de données sur l’acceptabilité des produits hybrides, mais à titre personnel je doute qu’un produit qui serait composé de 3 % de cellules convainc davantage que la viande végétale », continue-t-il. 

Mais avant d’imaginer ces produits dans nos rayons, il faudra franchir un obstacle majeur : celui de la réglementation européenne. Sur le Vieux continent, « les produits issus de la culture cellulaire doivent passer par le processus des Novel Foods », précise Tom Bry-Chevalier. Un cadre juridique qui impose aux fabricants de déposer un dossier complet auprès de l’EFSA, l’autorité européenne de sécurité des aliments, afin d’évaluer la sûreté du produit pour la consommation humaine. Une fois validé, c’est à la Commission européenne, dans une seconde étape, de décider si le produit peut effectivement être mis sur le marché. Un processus long, incertain, et profondément politique. Résultat : même dans les scénarios les plus optimistes, les premiers produits à base de viande cultivée, et encore onéreux, ne sont pas attendus avant quatre à cinq ans, selon lui. Pour une démocratisation plus large, il faudra sans doute attendre au moins une décennie, voire davantage.

Alors, en 2065, à quoi ressemblera mon sac de courses ? Le doctorant m’a simplement répondu qu’il devrait contenir « une grande partie de viande végétale », des procédés alternatifs comme « les mycoprotéines à base de champignons ou les protéines microbiennes » et peut-être une « minorité de viande cultivée ». Le produit animal, lui, ne devrait pas tout à fait disparaître. Et qui sait, d’ici là, une nouvelle forme de viande aura peut-être vu le jour.

Aurore Maubian

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