Sous les réverbères, la ville vous toise

L’utilisation de nos données rend-t-elle les villes intelligentes ? À Issy-les-Moulineaux, l’éclairage public adapte la lumière au passage des piétons.  Une avancée dans le domaine des smart cities qui interroge sur l’usage des informations personnelles… 

L’éclairage public intelligent permet jusqu’à 30 % d’économies d’énergie, une baisse des émissions de CO2, une amélioration du sentiment de sécurité et une réduction des coûts de maintenance. Image générée par ChatGPT.

Le futur est là et il s’appelle « smart city ». Vous pensiez que les villes du futur allaient ressembler  à des villes entièrement connectées ? Figurez-vous que nous y sommes déjà et cela, depuis les  années 2010. À Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), les lampadaires s’allument  à votre passage.  

Ce réseau d’éclairage public intelligent repose sur l’installation de boîtiers numériques placés au  pied des lampadaires. Le dispositif rend possible le pilotage de chaque point lumineux et permet  ainsi de contrôler la consommation en fonction de la fréquentation d’une rue, de l’heure et des  saisons. Pour ce faire, la Mairie d’Issy-les-Moulineaux a piloté le projet aux côtés de start-up et des géants tels que Schneider Electric, Bouygues Telecom ou encore Microsoft.

Un dispositif salué par Hélène, résidente d’Issy-les-Moulineaux. Elle croise ces lampadaires tous les soirs en rentrant du travail. « L’éclairage intelligent est pratique pour les économies d’électricité. Si cela s’avère être la ville de demain, je la trouve souhaitable sur le plan écologique », juge-t-elle avant de continuer sa route vers chez elle.  

Pour la municipalité, c’est le jackpot. Avec ce système, elle peut mieux appréhender les  hausses des tarifs de l’électricité. Celle de l’éclairage public représente en moyenne plus de 40 %  de la dépense énergétique d’une collectivité. « L’éclairage intelligent permet jusqu’à 30 %  d’économies d’énergie. Le retour sur investissement y est très élevé : pour un euro investi, le projet a rapporté 6,4 euros », se réjouit Patrice Geoffron, enseignant-chercheur en économie à l’Université Paris Dauphine-PSL.

Le tableau de bord énergétique permet aux habitants, aux entreprises et aux équipements publics de mieux comprendre leur consommation énergétique © Ville d’Issy-les-Moulineaux

Adieu la protection des données personnelles ?

Dans les quartiers connectés, tout ou presque est mesuré : consommation d’eau et d’électricité,  fréquentation des rues, intensité lumineuse. Ces données sont collectées en temps réel et  utilisées anonymement à des fins de pilotage urbain. Une promesse qui, pour autant, ne rassure  pas Hervé, 57 ans, interrogé dans les rues d’Issy-les-Moulineaux : « Ça me fait peur ! Je ne sais  pas qui est derrière le traitement de ces données »

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Des doutes individuels mais qui font écho à des réticences institutionnelles. En 2020, Google Alphabet a dû renoncer à son projet de « ville intelligente » à  Toronto, pourtant très avancé. Des antennes Wi-Fi partout et des capteurs pour récolter et  analyser en permanence les données urbaines, qu’il s’agisse de flux de cyclistes ou de piétons,  de consommation d’eau ou de remplissage des poubelles… Rien de cela ne verra le jour.  En cause : la volonté du groupe de revendre les données des habitants. « Les données mises au service de la ville, ce n’est pas optimal à l’avenir. On a eu un grand emballement en 2015-2017 avec le boom des smart cities. Mais cela s’est écroulé avec le covid et l’effondrement du projet de Google Alphabet », souligne Jean Haëntjens, économiste, urbaniste et prospectiviste.  

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En France aussi, certaines municipalités ont fini par reculer. À Nice par exemple, le  maire Christian Estrosi a annulé une collaboration avec l’entreprise IBM, présente dans les domaines du matériel informatique, du logiciel et des services informatiques. Celle-ci proposait d’installer des capteurs et caméras pour la sécurité des habitants. Mais le projet a pris une ampleur démesurée. « La gestion de la ville allait échapper aux élus », analyse Jean Haëntjens. 

Avec la multiplication des données et l’usage d’algorithmes, certaines analyses  produites peuvent être biaisées ou poser problème sans que cela n’ait été prévu. Toutefois, les collectivités locales manquent souvent des outils nécessaires pour quantifier les activités urbaines avec la même précision que les statistiques d’État. Les bénéfices en termes d’efficacité énergétique et de gestion des ressources se confirment, mais les enjeux liés à la protection des données et à l’équilibre entre technologie et gouvernance locale restent à surveiller.

Noa Ambrosino


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