Mon fils, tu ne seras pas Andrew Tate

Les nombreux hommes qui font l’apologie d’une masculinité extrême sur les réseaux sociaux ont été des enfants, un jour. Alors, comment éduquer les garçons d’aujourd’hui pour éviter qu’ils ne deviennent les « mecs toxiques » de demain ? Réponse avec une spécialiste du sujet.

La mini-série à succès Adolescence a ouvert une large discussion autour du masculinisme sur les réseaux sociaux. © Capture d’écran

Avec un masculinisme débridé sur les réseaux sociaux, du sexisme qui tourne au harcèlement, et une multitude d’ados qui deviennent des « mecs toxiques », l’éducation des garçons ressemble à une mission impossible. C’est le sujet de la série Adolescence, qui cartonne depuis sa sortie sur Netflix en mars 2025. Sonora Jha, professeure à l’université de Seattle et autrice du livre How to raise a feminist son (2021), imagine l’éducation des garçons du futur.

Vous avez élevé seule un garçon, adulte aujourd’hui. À quel moment vous êtes-vous posé la question de son éducation ?

Je me suis interrogée assez tôt parce que, en tant que mère féministe, je m’inquiétais de voir mon fils grandir dans une culture de violence et de misogynie banalisée autour de nous. Nous étions en Inde à l’époque, et même les familles modernes et soi-disant progressistes faisaient abstraction du sexisme quotidien.

Vous avez raconté votre expérience dans un livre, intitulé How to raise a feminist son. Le féminisme, qu’est-ce que ça change pour les garçons ?

Le féminisme permet aux garçons de vivre une vie plus saine où ils peuvent expérimenter et exprimer tout le spectre des émotions humaines plutôt que de réprimer les sentiments considérés comme « non masculins ». Il les aide aussi à cultiver des liens plus profonds, qui développent un sentiment d’appartenance, de communauté et d’amour. Enfin, il les aide à entretenir des relations plus aimantes et plus respectueuses, notamment avec les femmes de leur vie – leurs mères, leurs sœurs, leurs partenaires, leurs collègues, leurs patronnes. Ils ne se sentent donc pas obligés d’être toujours les protecteurs, les soutiens financiers, ou ceux qui ont réponse à tout.

Alors, comment fait-on ?

Pour faire de son fils un féministe, vous devez ouvrir un dialogue sur le pouvoir et la représentation. Ça n’a pas à être difficile, ennuyeux ou lourd. Dans mon cas, je l’ai fait à travers des discussions autour d’amitiés, de films, de livres d’histoires, de comptines…

La mini-série Adolescence suit l’histoire d’un collégien de treize ans accusé du meurtre d’une camarade. Sa sortie a nourri une large discussion sur la culture incel, ou « célibataires involontaires », et le harcèlement en ligne. Pour vous, quel est l’impact de telles productions ?

Je suis convaincue que des séries comme Adolescence mettent en lumière un phénomène que nous vivons toutes, d’une façon ou d’une autre, avec les garçons qui font partie de nos vies. Ces séries nous font comprendre que nous ne sommes pas seules. C’est très puissant. Si je devais réécrire mon livre en 2025, je développerais beaucoup plus sur la montée de la culture incel. Les stratégies pour lutter contre ce phénomène sont toujours les mêmes : parlez à vos garçons. Intéressez-vous aux médias qu’ils utilisent. N’essayez pas de les faire taire ou de simplement les punir. Montrez à vos enfants qu’ils ne sont pas seuls et que d’autres personnes dans votre entourage croient en une façon plus douce d’être un homme.

La discussion qui a suivi la sortie de la série a notamment eu lieu sur Internet. Les réseaux sociaux peuvent-ils être une solution autant qu’un danger ?

Absolument. Rappelez-vous que les mouvements #BlackLivesMatter et #MeToo n’auraient pas eu lieu sans les réseaux sociaux. 

Pour l’éducation des garçons du futur, que peut-on anticiper dès maintenant ?

Des figures inquiétantes de la suprématie masculine ont accédé au pouvoir politique dans de nombreuses régions du monde. Nous allons assister à des pertes considérables en matière de droits humains et de droits des femmes, des LGBTQ et des BIPOC (Noirs, Autochtones et Personnes de couleur). On vendra aux garçons l’idée que ce contexte leur sera favorable parce qu’ils « reviendront au pouvoir ». Nous devons leur demander si ce type de pouvoir leur donne une impression de puissance s’il est exercé au détriment des femmes qui les entourent. Ce pouvoir leur semble-t-il mérité ? Sont-ils en paix avec eux-mêmes ? Veulent-ils vraiment ce genre de succès ?

Dans un futur idéal, comment les garçons seraient-ils éduqués ?

On apprendrait aux garçons à prendre la même place que les autres, à écouter, à suivre autant qu’à diriger, à s’excuser. Ils auraient le droit de faire des erreurs, d’échouer, de galérer, de guérir. Ils liraient des livres et regarderaient des films avec des personnages féminins, sans y voir une aberration. On leur apprendrait qu’ils peuvent être des pères au foyer pendant que leurs partenaires féminines soutiennent financièrement la famille. On leur apprendrait à démanteler leurs privilèges parce que ce sont des pièges qui nuisent à tout le monde.

Que dites-vous aux parents du futur ?

Je leur dis qu’ils peuvent y arriver.

Propos recueillis par Léna Lebouteiller


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