J’ai couché avec un robot

La sexualité individuelle ne se contentera plus de jouets basiques ou de vidéos pornos floues. Pour l’instant, un smartphone permet d’explorer des univers érotiques. Demain peut-être, un robot sexuel attendra sous la couette. 

Et si nos partenaires sexuels n’étaient bientôt plus en chair et en os… Image générée par ChatGPT.

À Berlin, il est possible de réserver une poupée sexuelle pour une heure, une nuit ou même un week-end. L’établissement se considère comme un laboratoire sexuel visionnaire qui explore les liens entre humains et machines. Bienvenue au Cybrothel, où les clients choisissent la perruque, les vêtements et même la voix de leur partenaire robotisé. Une employée discute à distance via un micro, sa voix est transmise par les haut-parleurs placés dans la tête du robot. Tout est fait pour approcher au plus près des fantasmes, quitte à flirter avec l’étrange.

Pourtant, le propriétaire des lieux, Philipp Fussenegger, l’assure auprès de Tracks : « Faire l’amour avec un robot est simplement une forme de masturbation améliorée. D’un point de vue juridique, nous ne sommes pas une maison close. » Sur le site de l’établissement il est inscrit : « Êtes-vous prêt pour le sexe du futur ? » Depuis son ouverture en janvier 2022, Cybrothel propose de plus en plus de prestations. La dernière en date, l’arrivée d’un robot sexuel masculin. Les 18 autres robots ont donc des corps ressemblants à des femmes, très stéréotypées : seins et fesses énormes, peau lisse (en silicone) et cheveux très longs. Il faut débourser 99 euros pour passer une heure avec un humanoïde. Et des dizaines d’options sont possibles pour rendre l’expérience toujours plus intense : vêtements, casque de réalité augmentée, sextoys, pipi de robot…

« Le porno en réalité augmentée, ça a l’air dingue ! »

Mais cette hyper-personnalisation ne fait pas l’unanimité. Victoria Mizrahi, sexologue à La Rochelle (Charente-Maritime), y voit une illusion déshumanisée : « S’il n’y a pas de tendresse, de caresses, de prise dans les bras, d’odeur, ça ne peut pas fonctionner ! » Cette thérapeute est très sceptique à l’idée que ces machines peuvent assouvir les désirs sexuels. « C’est beaucoup trop tôt, je n’y crois pas », se moque Victoria Mizrahi. Pour elle, ces pratiques relèvent souvent d’une « misère affective ». Dans certains cas, elles touchent des personnes isolées ou en grande détresse relationnelle.

C’est justement ce que redoute Clara, 23 ans : « Quand on a quelque chose en face de soi qui n’est pas humain, il n’y a pas le même désir. Ces technologies risquent de renfermer encore plus ceux qui n’osent pas aller vers l’autre… » Pourtant, l’engouement autour de ces technologies est bien réel, chez les plus jeunes au moins. Timothée, 22 ans, en couple depuis quelques mois, a testé les limites des intelligences artificielles (IA). « J’ai demandé à ChatGPT de m’écrire une scène porno pour m’exciter mais il a refusé, se souvient l’étudiant. Par contre, je suis sûr que d’autres IA peuvent le faire et j’aimerais beaucoup tester un film porno avec le casque de réalité augmentée d’Apple, ça a l’air dingue ! » 

Désirs sans règles

Effectivement des sites comme Lustlab.ai, Candy.ai ou encore Pornify.cc permettent déjà de créer un personnage sexuel sur mesure. Une cinquantaine d’autres plateformes proposent de la pornographie générée par IA, au risque de concurrencer les créateurs de contenu humain ou les studios de films pornographiques. Même les géants du contenu exclusif comme Mym et OnlyFans voient leur plateforme héberger de nombreuses « modèles IA ». Problème : trop souvent ces modèles sont créées à partir de photos de vraies femmes volées sur internet et transformées par l’IA. Cela soulève de sérieuses questions éthiques et juridiques. 

Et cette éthique est justement au cœur des travaux de Kate Devlin, chercheuse à Londres et autrice de Turned On: Science, Sex and Robots (Bloomsbury, 2018). Selon elle, la limite n’est pas seulement dans l’ultra-réalisme. Au contraire, ce qui dérange parfois, c’est justement quand le robot ressemble trop l’humain. Dans son ouvrage, elle reprend la théorie du syndrome de la vallée de l’étrange : lorsqu’un objet ressemble trop à l’être humain il provoque de l’angoisse et du rejet. 

Et au-delà du malaise esthétique, il y a aussi une absence de régulation. « Partant de là où en est l’humanité aujourd’hui, on peut craindre la possibilité d’expérimenter le pire, surtout avec la remontée en flèche des mouvements masculinistes et de la remise en question des avancées sociales féministes », s’inquiète la sexologue Guillaumette Stevens. Comme aux débuts de l’industrie de la pornographie, les dérives sont apparues dès les premiers prototypes. Le premier robot sexuel a été mis en vente en 2017. Et la même année, une entreprise américaine avait déjà franchi la ligne rouge en commercialisant un robot conçu pour simuler une situation de viol. Le robot résistait aux avances de son propriétaire et c’était présenté comme une fonctionnalité destinée à explorer tous les désirs. Une façon glauque et dangereuse de permettre à chacun de réaliser les fantasmes les plus inavouables. 

Coralie Salle

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