Des cerveaux comme dans Severance, le futur du travail ?
Dans la série produite par Apple TV+, les employés d’une entreprise de biotechnologie peuvent subir une opération pour séparer leurs souvenirs professionnels et privés. Une technologie qui questionne notre rapport au travail et laisse sceptiques les experts en neurosciences.

Séparer la vie professionnelle de la vie privée pour parvenir à un équilibre optimal, voilà une difficulté rencontrée par tous les salariés à travers le monde. Dans la série Severance, diffusée sur Apple TV+, les employés de Lumon Industries, première entreprise mondiale de biotechnologie, ont la possibilité de subir une opération de « dissociation » visant à séparer leurs souvenirs professionnels et privés. En résulte une même enveloppe corporelle, mais deux identités distinctes. L’exter (outie, en anglais) vit en société et n’a aucune idée du travail qu’il effectue, tandis que l’inter (innie) existe uniquement au bureau et ne sait pas de quoi sa vie est faite en dehors.

La série produite par Ben Stiller donne à voir une aliénation économique version XXIe siècle. Alors que le travail occupe une part prépondérante de l’essence d’un individu, les employés « dissociés » de Lumon Industries en sont complètement dépossédés. Le philosophe Karl Marx, à l’origine du concept d’aliénation, voyait dans le temps de travail un moment lors duquel l’humain n’est plus vraiment lui-même. Dans Severance, l’idée est poussée à son paroxysme : l’inter, dont l’existence est cantonnée entre les murs de l’entreprise, devient esclave de sa tâche.
Pourtant, si elle devait voir le jour, la « dissociation » serait particulièrement plébiscitée par la génération Z. D’après une étude britannique publiée en mars et réalisée par Unmind, un service de santé mentale, 46 % des personnes nées entre 1997 et 2012 voudraient être « dissociées ». « En France, le travail est central dans la construction de la personne », rappelle Isabelle Louis, consultante et formatrice en prévention des risques professionnels. « Nous essayons de repousser le travail en le mettant dans une petite case qu’on va ensuite fermer à clé, sauf que culturellement et psychologiquement nous ne sommes pas conçus ainsi », poursuit-elle.

Course aux implants cérébraux
La « dissociation » pourrait-elle devenir une réalité dans les prochaines années ? Le neurochirurgien américain Vijay Agarwal, consultant scientifique de la série, a beau affirmer que nous sommes « assez proches » de parvenir à une telle technologie, plusieurs expertes font part de leur scepticisme. Contactée, la docteure en neurosciences Nadège Roche-Labarbe a d’abord répondu avec sarcasme : « C’est comme si vous cherchiez un expert en pharmacologie pour discuter de l’effet de l’épice de Dune… »
Il n’empêche, les cerveaux scindés existent depuis les années 1940. Dans le traitement de l’épilepsie sévère, plusieurs patients ont subi une intervention chirurgicale visant à sectionner le corps calleux qui relie les hémisphères gauche et droit du cerveau. « Le “split brain” est quelque chose de connu, explique Peggy Gerardin, chercheuse en neurosciences à l’Inserm. Mais il n’y a jamais eu des différences de personnalités. L’information visuelle et auditive continue à circuler. » Malgré la scission de son cerveau, « l’individu n’est pas déconnecté de ses expériences vécues à différents moments de la journée ou dans différents contextes », abonde Nadège Roche-Labarbe.
Dans la série Severance, la « dissociation » est permise par l’implantation d’une puce à l’arrière du cerveau. Ces dernières années, plusieurs entreprises se sont lancées dans la course aux implants cérébraux. Même si ces technologies ne permettent pas de diviser le cerveau en deux, elles sont capables de modifier, améliorer ou remplacer certaines de ses fonctions. En janvier 2024, Neuralink, la start-up du milliardaire Elon Musk, posait son premier implant sur un patient tétraplégique, lui permettant de gagner en autonomie. Dans ce domaine, la réalité n’a rien à envier à la fiction.
Hicham Zemrani